Si le terroir n’était qu’une terre, un sol sanctuarisé par l’usage du temps et des hommes, il ne serait guère plus qu’un décor élevé au rang de talisman par la pensée magique ou les lois du marketing — qui souvent se confondent.
Mais ce territoire du Médoc est bien sûr plus que l’invocation de son glorieux passé : d’abord parce qu’il a été gagné sur les eaux, depuis Charlemagne et, de manière plus décisive encore au XVIIIe siècle, quand la fixation des sols et les premiers boisements sanctionneront la victoire des terres sur les marais, et celle de l’ingéniosité humaine sur les fatalités naturelles.
Ensuite parce que ce terroir-là, plus qu’un autre, a gardé de ses origines quelque chose de marin, de salé ; un souvenir d’embruns, comme dans ces mythes du monde entier où la vie surgit sur un tertre initial lentement émergé des eaux primordiales…
Le terroir du Château La Gorce, en plein cœur de ce bas Médoc si riche en histoires, ce serait donc cela : la rencontre d’une terre, d’une vigne et d’une tradition. Entendons par là la pratique toujours renouvelée d’un savoir-faire qui ne peut s’écrire qu’au futur.
On prête à Gustav Mahler cette phrase joliment troussée : « La tradition, ce n’est pas l’amour des cendres mais la perpétuation du feu . » S’il y a une philosophie ici, c’est précisément celle qui éclaire le futur à la lumière du passé
On aurait bien tort d’y voir la volonté d’un « coup de jeune » ou le désir opportuniste de s’adapter à l’air du temps.
Travailler en bio, c’est plus lent, plus compliqué et, contrairement à ce qu’on peut croire, pas forcément écologique — du moins pas tout de suite : se passer de désherbant oblige à multiplier les passages de machines à désherber entre les vignes, ce qui occasionne au départ un surcroît d’émissions polluantes…
Mais ici, on a fait le pari que cette mécanisation temporaire n’est que le prélude à la mise en place d’un couvert végétal non concurrentiel pour la vigne, permettant de maintenir l’humidité, maîtriser le ruissellement et, à terme, de se passer d’engins rotatifs au profit d’une simple tonte — une à deux fois par an.
L’anticipation, c’est aussi célébrer la tradition en l’adaptant aux contraintes de l’avenir — notamment aux changements climatiques.
C’est donc « sortir du statisme », comme le dit Emmanuel Martin, en cultivant pareillement un souci éthique sur la question sociale : « travailler avec moins de gens, mais les fidéliser en leur offrant des conditions de travail décentes. »
Sans mots d’ordre ronflants, sans pétitions de principe, on y découvre qu’il suffit parfois d’un solide savoir historique, d’une conscience des enjeux et d’une intelligence du geste pour produire des vins élégants et racés — sans autres additifs que l’intelligence du vigneron, et le plaisir du buveur.
Après une quinzaine d’années d’expérience en tant que négociant/propriétaire dans l’entre-deux mers, issu d’une longue lignée viticole familiale (son grand-père fut à l’origine du système coopératif viticole français), Emmanuel Martin étudia également la philosophie à l’Université de Bordeaux. Il peut ainsi exciper d’une réelle connaissance de tous les métiers du vin.
De ce passé atypique, il dit avoir appris « la connaissance des marchés, le prix des choses, la véritable valeur des vins », mais aussi « ce qu’il ne faut pas faire » ; ajoute-t-il avec une pointe d’humour.
Ni conservateur crispé sur des manières de faire d’un autre temps, ni agitateur bruyant qui entendrait imposer ses idées à l’ensemble de la profession, il prêche avant tout pour plus de diversité dans les pratiques, comme dans les mentalités.
A ses côtés, Mana, qui travailla longtemps dans le commerce et le marketing, s’implique dans l’évolution de la gamme existante des vins de La Gorce et imagine d’autres produits à venir, dont une cuvée de rosé qui devrait réserver quelques surprises, ainsi que l’élaboration de nouvelles cuvées en amphores.
En témoignent leurs collaborations audacieuses avec des artistes tels que Clémentine Mélois ou Pierre La Police qui viennent illustrer avec humour et un certain décalage les étiquettes des cuvées Rouge Intense et Rose Dada.
Mais c’est également toute l’identité de Château La Gorce qui se voit revisitée et modernisée cette année, visuellement et conceptuellement. Passage obligé pour Mana et Emmanuel afin de démontrer leur engagement à transformer ce domaine dans une démarche toute personnelle et résolument tournée vers l’avenir.